Samedi 25 mars 2023Pour la plupart des civils en âge de travailler, c'était l'occasion de s'accorder une pause après une semaine fatigante. Une à l'emploi du temps fixe, où chacun était assuré de pouvoir rentrer le soir. Sauf lorsqu'on s'appelait Alear et que l'on était sapeur-pompier. Les longues gardes de douze à vingt-quatre heures étaient son quotidien. Un rythme contraignant loin de décourager le jeune homme qui avait toujours à coeur d'aider les autres. Parmi ses collègues, Alear était le plus émotionnel d'entre eux et toujours la personne à appeler pour rassurer les victimes les plus agitées. Patient et bienveillant même si la personne en face lui criait dessus. Son sens du relationnel était excellent.
Cependant, sa principale qualité, la générosité, était également son pire défaut. Parfois, il minimisait les risques inhérents à ce métier. Au mieux il s'agissait de prioriser les autres, au pire faire preuve d'imprudence et s'exposer inutilement au danger. Un comportement bien connu de ses supérieurs qui gardaient toujours un oeil sur lui lors des interventions les plus délicates. Ils avaient déjà essayé de le raisonner mais chaque tentative s'était soldée par un échec. À un moment ou un autre, les vieilles habitudes reprenaient. Un constat désespérant pour eux qui ne pouvaient rien faire de plus. En effet, Alear ne commettait aucune faute professionnelle. Pas même la désobéissance où ils auraient pu le convoquer pour lui donner un avertissement verbal. Une situation mal vécue par le moins expérimenté qui peinait à concilier son envie d'aider les autres et logique. Les énerver n'était pas son but et il espérait résoudre définitivement ce problème qui menaçait de déteindre sur l'ambiance de la caserne. Sociable, il souhaitait dans cette ville moderne concrétiser plusieurs amitiés. Dans son ancien monde, un mur s'était dressé entre lui et la majorité des humains. Il était un dragon divin adulé de tous, jugé inapprochable du fait de sa nature extraordinaire. Cet isolement avait pesé sur son mental. De même leurs attentes excessives génératrices d'une anxiété permanente de les décevoir. Il était seulement une personne normale avec des peurs et moments de doute comme tous. Une personne normale avec la lourde responsabilité d'assurer la protection d'un continent entier. Ce nouveau départ était ainsi l'occasion de goûter aux petits plaisirs d'une vie plus anodine.
Aujourd'hui avait été l'une de ces occasions. La journée exceptionnellement calme lui avait permit de partager des moments de complicité avec ses collègues. Parmi les plus notables, la séance d'entrainement collective et l'organisation de jeux de société après le diner. À la place d'un son de sirène assourdissant, résonnèrent de nombreux rires. Si bien que l'ensemble des sapeurs-pompiers oublièrent que tout pouvait arriver. Rien ne les préparait à cette fin de garde plus intense qu'à l'accoutumée.
"Uno !" Prononça-t'il d'une voix enjouée.
TUUUUUUUUUUUT !Encore plongé dans une partie endiablée du célèbre jeu de cartes Uno, Alear ne comprit pas forcément tout de suite ce qui se passait.
"Huh ?"Cependant, le son qui ne cessait de retentir à travers toute la caserne l'extirpa bien assez vite de cet état de confusion. Les muscles encore endoloris à cause d'une position assise prolongée, Alear se leva pour se diriger avec hâte vers son casier. Comme plusieurs dizaines d'autres. Toute la caserne semblait mobilisée. Très rapidement, la tête aux cheveux bicolores comprit qu'il ne s'agissait pas d'un appel ordinaire. La situation était grave. Ce qu'il apprit par la suite l'horrifia.
"Un couple avec des enfants ? En pleine nuit !" s'exclama-t'il sous le coup de l'émotion.
Posture professionnelle oblige, Alear regagna son sang froid pour se revêtir d'habits et d'accessoires de protection contre les incendies. Perdre ses collègues pompiers, ne pas pouvoir sauver ceux qui les avaient appelés...Il avait toujours cette crainte lors de ce genre d'interventions, mais c'était aussi ce qui le motivait. Seul il pouvait difficilement faire quelque chose mais ensemble, tout devenait possible. À quelques conditions évidemment. La plus importante, arriver à temps sur les lieux. Direction le quartier sud de Lockwood !
PIN-PON ! PIN-PON ! PIN-PON !La vision d'une grande maison envahie par les flammes s'offrait à tous les professionnels travaillant ce jour-là. D'ailleurs, un détail frappa les soldats du feu. La vitesse de propagation anormalement rapide à cause du temps venteux. Une circonstance imprévue qui rendit tout à coup leur exercice beaucoup plus compliqué que prévu. Chaque seconde comptait. Les commandants se devaient de réfléchir et vite. Les subordonnés prêts à agir dès que l'ordre leur était donné. Les unités médicales, nombreuses, étaient elles aussi prêtes à soigner les survivants de la catastrophe. La tension était palpable.
Les ordres s'enchainèrent. À l'extérieur furent déployés les hommes chargés d'éteindre les impressionnantes colonnes de feu grâce aux puissants jets d'eau des tuyaux. D'autres pénétrèrent au sein de la fournaise inhabitable pour espérer sortir les personnes piégées par les flammes. L'une après l'autre, adultes comme plus jeunes. Cependant, alors qu'ils croyaient avoir sauvé tout le monde, les hurlements soudains de la mère de famille leur prouvèrent le contraire. La petite dernière manquait à l'appel.
"Puisque vous êtes des incompétents, je vais la chercher moi-même ! CHLOÉ J'ARRIVE !"La femme paniquée essaya de forcer le passage pour rentrer à nouveau dans l'habitation. Fort heureusement, son comportement irrationnel fut aussitôt maitrisé et elle se réfugia à l'abri. Un soulagement éphémère étant donné le vif débat qui s'engagea entre les professionnels par la suite. Il y avait-t'il encore un espoir que l'enfant soit saine et sauve ? Si oui, cela justifiait-t'il de mettre en danger la vie de plusieurs hommes ? Outre le feu plus étendu, les fondations de la maison risquaient de s'effondrer à certains endroits. Des risques considérables dont avaient bien conscience les supérieurs qui craignaient pour leur sécurité. Ainsi, ces derniers répétèrent à leurs subordonnés l'importance de se préserver et les invita à fuir si cela était trop dangereux.
"Vous n'êtes pas infaillibles, savoir fuir est tout aussi important que savoir secourir. Vous ne pouvez pas secourir si vous ne connaissez pas vos propres limites !" Sans surprise, l'homme d'une vingtaine d'années fut un partisan de l'option la plus risquée. On leur avait dit que la petite fille avait encore des chances de survie même si inconsciente. Puis il n'était pas insensible à la détresse de cette pauvre mère qui risquait de perdre son enfant. Comment lui annoncer un tel drame alors qu'elle leur avait fait confiance après les avoir écoutés ? C'est pourquoi malgré les circonstances défavorables Alear et trois autres collègues poursuivirent leur progression à l'intérieur. Tous quatre prêts à braver le danger, jusqu'à un certain point.
"Désolé, je m'en vais ! PARTEZ VOUS AUSSI ! " cria un soldat du feu qui avait peur pour sa vie et celles de ses partenaires de travail. Un rappel à la raison qui agit comme un électrochoc pour l'autre homme qui était toujours aux côtés de l'ancien héros. Deux départs successifs qui angoissèrent Alear. Il se sentait désemparé face à une situation de plus en plus critique. Le toit et le plancher commencèrent à céder. L'éloignement de ses collègues fut vécu comme un abandon. Ils avaient déjà condamné la fillette. Aussi proche du but ! En effet, son intuition l'orienta vers la piste du placard situé au fond du couloir. Un lieu plausible pour un enfant qui aurait pu avoir peur de leurs équipements étranges. Le seul non fouillé jusqu'à présent.
"Alear, tout va bien ? Où es-tu ! Sors immédiatement !" Ordonna une voix certes autoritaire, mais inquiète. Le plus âgé avait une différente perception des événements. Si tous ses subordonnés avaient prit la décision de rebrousser le chemin, cela confirmait d'autant plus la dangerosité de ce feu imprévisible et intense. Il était d'accord avec eux. Désormais, rester à l'intérieur relevait de la folie.
Des mots qui ne dissuaderont pas le jeune sapeur-pompier de sa prochaine action. Résolu, il courut vers la fameuse porte pour la défoncer d'un coup de pied brusque. Comme prévu, Alear y découvrit le corps gisant de l'enfant qu'il porta aussitôt dans ses bras. Ce fut alors un instant plus tard qu'il répondit à son supérieur pour le rassurer.
"Je me porte bien lieutenant ! J'ai trouvé la petite ! " s'empressa-t'il de répondre avant d'essayer de le rejoindre.
Un scénario qui aurait pu peut-être bien se terminer dans un film. Sauf que l'on était dans la réalité. Froide et cruelle.
Alear Lythos & Ratch R. Ghrian
